C’était l’hiver. Dans cette baie aux rivages escarpés, quelques phoques passaient au loin, des monceaux de coquilles vides parsemaient la plage, de rares buissons épineux luttaient contre le vent glacé.
Une vieille femme aux traits burinés, couverte d’une fourrure
ocre, regardait la mer. L’inquiétude se lisait sur son visage, illuminé de
rouge. Elle cherchait à lire, désespérément, un message dans le bleu profond de
la mer, dans la danse des nuages, dans le vol des goélands : où donc était
son fils ? Quand rentrerait-il ?
Elle savait que le temps lui était compté et espérait, en venant désormais
plusieurs fois par jour scruter la mer, accélérer le retour de celui qu’elle
attendait pour partir. « Je reviendrai Petite Mère, attends-moi »,
voilà ce qu’il lui avait dit sur la passerelle de la goélette Le bruit du vent. Et attendre c’était ce qu’elle faisait depuis
tant de lunes qu’elle ne voulait plus ni compter ni se souvenir. Elle voulait
qu’il soit là, tout simplement, pour lui tenir la main au moment du grand
passage.
En rêve elle lui avait demandé : “Penses-tu encore parfois à moi mon fils ?”
Et il lui avait répondu : “Petite Mère, ne me demande pas ce qui déchire mes entrailles chaque jour.” Alors elle continuait à porter sa solitude en bandoulière, cette petite sœur qui ne la quittait plus.
Car le village souffrait. Depuis le départ des jeunes vers les terres extérieures, bien des choses avaient changé. Le désert avançait inexorablement, la terre aride et les charognards avaient apporté une nouvelle race d’hommes. C’était des sorciers qui prétendaient connaître l’avenir, ils vivaient du travail des femmes et des vieux, ils laissaient la morsure du désert attaquer les vergers, les champs, les puits, plus aucune naissance ne venait réjouir le village. Elle pourtant, la matriarche, savait qu’un jour un bras viendrait de la mer pour les chasser. Quand elle avait vu arriver ces porteurs de mort, elle avait été heureuse de savoir son fils loin de sa terre. Avec son caractère entier et sa jeune force, il serait immédiatement entré en guerre et se serait fait massacrer. Mais à mesure que le temps passait, que le monde perdait ses couleurs, que le vent ne portait plus que murmures et gémissements, elle avait commencé à espérer le retour des enfants du pays. Et maintenant elle attendait, sure de voir bientôt la voile blanche percer l’horizon.
Alors elle se remit à chanter la mélodie des mères, celle que les femmes glissent à l’oreille de leurs petits quand ils sont endormis. Elle confia son chant à la force des vents et au rouleau des vagues, elle prêta sa voix au peuple de la mer et aux millions de gouttelettes qui font d’un instant fugitif une éternité. Elle chantait depuis l’aube et s’arrêta enfin quand sa voix ne fut plus qu’un léger filet qui avait posé, sur les flots rougeoyants, son message d’amour.
La nuit allait venir. Il lui fallait rentrer avant que les ombres qui avaient pris possession de sa vie ne sortent et n’attaquent. Elle redressa sa pelisse et partit d’un pas lourd vers son refuge. Demain elle reviendrait. Demain.
Avec toute ma douceur,
Un après-midi, nous avons joué au “cadavre exquis” avec mon fils Arthur. Plusieurs textes à “4 mains”, avaient alors vu le jour, en voici un…
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