L’automne est la saison des flambées : un arbre fauve remplace un matin celui qui, la veille encore, se fondait dans le tapis vert de la forêt voisine. On a presque du mal à croire qu’il soit le même, mais c’est bien lui, dans une autre tonalité. Il fait ainsi entendre sa voix : premier à rougir ou à dorer, on ne voit que lui et il est beau de cette singularité. En quelques jours, la nature poète va faire éclater sa palette aux milles couleurs et pour peu que la lumière s’en mêle et qu’on y soit attentifs, il ne nous reste plus qu’à nous asseoir et profiter du feu d’artifice qu’elle nous offre si généreusement chaque année.
C’est une période qui s’annonce par le grand équilibre entre le jour et la nuit, le chaud et le froid, le dehors et le dedans. C’est l’autre moment, dans l’année, où tout balance d’un plateau à l’autre par la grâce d’un rayon de soleil ou d’un givre matinal. Mais autant la sève du printemps nous engage à bouger, décider, avancer comme si pour nous aussi il était temps de montrer tout ce dont nous étions capables, autant l’automne invite, par simple effet miroir, à l’enfouissement, à l’intériorité, à la profondeur.
L’automne est la saison du repli : le feu dans l’âtre ou le poêle réchauffe agréablement les premières soirées humides et ne tarde pas à accueillir paumes et plantes au sortir de la promenade dominicale. C’est le moment de commencer notre retraite énergétique et de tourner notre regard vers l’intérieur.
À la Toussaint, j’ai planté des bulbes de tulipes. Les poules à leur arrivée il y a trois ans avaient mangé toutes les fleurs naissantes et ce traitement génocidaire traumatisa tant les plantes que plus jamais elles ne refleurirent. J’ai ainsi déposé les nouveaux bulbes en réfléchissant à la façon dont j’allais les protéger au printemps prochain de leurs gourmandes voisines. Je me suis aussi surprise à espérer que certains anciens bulbes, découverts dans mes petites tranchées, puissent être encouragés par les nouveaux, à ressortir…Croire en la vie est le meilleur pari qu’on puisse faire. Toujours.
En les mettant dans la terre déjà froide, je me suis rendue compte que cela faisait à la fois naître en moi un sentiment d’enterrement et un autre de germination. En semant en terre ce qui allait bientôt fleurir, je me suis interrogée : Quelle part de moi dois-je aujourd’hui enfouir ?
De la même façon que les arbres ne sont que la partie visible d’un immense réseau souterrain, entrelacs de racines et de graines, nous sommes, verticaux, la simple partie visible d’un tout bien plus grand. La vie est généreuse, il faut lui faire confiance : une fois les graines plantées, les racines protégées, les troncs renforcés et les feuilles tombées, nous sommes parés pour traverser l’hiver. Et qu’est-ce donc que l’hiver si ce n’est l’attente ? L’attente est difficile. C’est même je trouve, la partie la plus difficile de l’existence. Mais elle est nécessaire car le travail qui se fait en dessous est proportionnel au résultat qui fleurira au-dessus.
Ce n’est qu’après l’Assommoir que Zola a pu écrire Germinal.
Je voulais partager avec vous ma part souterraine…
Avec toute ma délicatesse,
Qu'en pensez-vous?