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Le printemps, tellement!

JOUR

Pour faire une prairie, prenez un trèfle et une seule abeille – un seul trèfle et une abeille, et la rêverie – La rêverie seule suffira, si on manque d’abeilles.
« Est-ce que ce que j’écris est vivant ? » demandait Emily Dickinson à son éditeur qui ne l’éditait pas. Et ça lui était bien égal. Rien plutôt que toucher un cheveu des anges qu’elle dessinait, mot après mot, sur ses cahiers d’enfant sage.
« J’ai tant besoin de vous depuis que je chancèle » lettre à Sue, sa grande amie, sa belle-sœur, sa voisine, son amour sublimé.

JOUR

La pression continue – verbe au présent actif – adjectif au passif puissant –
La colère monte en moi et je m’y soumets. Ma vie intérieure est encore trop fragile. Elle se trouve à cette étape du chemin où, déjà dépossédée de son armure, elle ne sait pas encore accueillir avec simplicité la réalité. J’ai envie de me laisser doucher par ces trombes d’eau qui noient nos terres et nos rivières depuis des jours et des nuits. Pour me laver, me laver encore. Encore et encore.

JOUR

Notre courageux abricotier laisse une fois de plus éclore ses fleurs fragiles qui se moquent des sautes d’humeur des nuages, le rose aux joues. Elles affichent une grâce entêtée qui résume à elle seule la poésie d’Emily. Je vois que maintenant je pourrais vivre recluse, si telle était ma route. Je suis dans cet espace sacré entre les ablutions et l’offrande. Lavée de beaucoup, je ne sais pas encore bien que donner au monde.
Restons tournée vers l’intérieur, c’est là que siège la lumière.

JOUR

Tout s’écarte devant la menace invisible. Chacun retient son souffle, se lave les mains à s’en arracher la peau, attend la suite, calfeutré chez soi, le nez collé aux nouvelles alarmantes. Le monde entier est touché, comme avec les burgers, le plastique, la pollution. Mais bizarrement là, enfin, ça s’arrête.
Elle a un nom étrange la petite bête qui monte, qui monte. Elle attaque ceux qui passent à sa portée, certains dans le silence – ce seront ses ambassadeurs – d’autres à grands fracas – ce seront ses symboles. « Regardez ma puissance, je fais ce que je veux, comme je veux. Je me moque des frontières, des races, des langues, je prends le train, l’avion, le métro, cachée dans vos poumons. Je touche le faible comme le fort, le riche et le pauvre, le jeune et le vieux. ».
La nature nous ravit. Toujours.

JOUR

L’abricotier tout pomponné se laisse caresser des rayons déjà chauds. Les primevères, pointilleuses, parsèment l’herbe sucrée de touches mauves, blanches ou roses, au gré du vent. Les tulipes déploient prudemment leurs corps fripés de sommeil, sous le regard tendre des jonquilles aux yeux jaunes.
Tellement ivres, les abeilles qui tourbillonnent au ras du sol, à la cime des arbres.
Tellement argentées les mille flûtes qui chapardent leur musique et leur livrent leurs bouches.

JOUR

J’ai de la chance : je suis confinée entre Emily Dickinson et la forêt. Leur poésie berce mon imagination et me donne envie d’être meilleure. Elle m’aide à respirer. Les concertos de Bach tissent leur toile harmonique autour de notre petit théâtre. La scène se répète chaque matin, nos rides se creusent à peine et Minnie étire son sourire d’ange. Chaque médaille a son endroit. Pour nous ce sera ici. Dans cette immense chaleur d’amour distribuée sans compter par une petite touffe de poils blancs qui a deux ans aujourd’hui et une magicienne de cinq semaines qui connait tous les philtres et les emploie à volonté.

4 Réponses
  • Bignalet Catherine
    mars 20, 2020

    Merci Isabelle pour l’univers poétique dans lequel tu nous emmènes.
    La nature est notre poumon et la bonne nouvelle dans ce qui nous atteint, c’est qu’on va enfin la laisser respirer…..

  • Marie Riffault
    mars 22, 2020

    Merci Isabelle,
    Oui tu as raison la colère ne sert à rien. Se tourner vers l’intérieur est la seule manière de trouver la lumière. Et puis chantez. Haut et Fort. La musique nous emmène vers la Joie qui précède la Rencontre.
    Je t’embrasse et te dit à très bientôt

    Marie.

  • Evelyne
    mars 25, 2020

    Quel beau texte, quel beau titre !
    “Le printemps, tellement.”
    Tout est vrai.
    Le printemps est là.
    Tout est tellement… sensible, déroutant, autant prétexte que réflexe, réflexe de la pousse qui pointe sur la tige, la tige fatiguée qui n’en revient pas de sa vigueur, vigueur qui rime avec rigueur, rigueur des temps qui courent, cour des grands, grands maux sans remèdes.. En somme, l’irrémédiable.
    Et pourtant, le printemps, tellement…

  • Juliette
    avril 6, 2020

    Merci pour ce très beau texte !
    Le printemps est comme ça…quelque chose qui meurt rencontre comme un effleurement autre chose qui naît.

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