Encore un Bobin, encore une pépite, encore un livre que je n’aurai plus la chance de découvrir.
Cet homme a une façon d’agencer les mots qui nous rend beaux. Il fait de son œuvre un voyage poétique où tout se mélange et où rien n’est pareil. Quelques lignes au milieu d’une page blanche et le monde s’ouvre, ses contours sont plus nets, la joie peut enfin entrer.
Je suis en même temps envieuse et reconnaissante. Je dévore ses traits de lumière, j’en saisis un au vol et le laisse aussitôt pour accueillir le suivant, tour à tour abreuvée, assoiffée, abreuvée…Une sorte d’art de la fugue littéraire, un sommet de virtuosité et d’artisanat, Christian Bobin, Meilleur Ouvrier de France catégorie « minuscules ».
Je me promène partout avec lui. Je donne de ses nouvelles à l’escargot baveux qui court vers mes salades, à la fourmi obstinée qui monte le long du mur,
Du droit à l’oubli… au devoir de mémoire.
Les livres continuent de partir, au compte-gouttes.
Mais qu’est d’autre l’océan qu’une multitude de gouttes, imprégnées les unes aux autres ? Aucune jamais n’y a perdu de sa substance, toutes se renforcent, à l’infini.
Goutte parmi mes semblables, je cherche leur contact dans une économie d’énergie nouvelle pour moi.
Le poète Novalis parlait de grains de pollen, promesses d’ensemencement et de récolte. Il semait à tous vents, pressé de garnir son grenier qu’il savait si fragile.
De mon écriture fluide, je parle de ce qui brûle.
L’éternité n’est pas un point fixe. C’est un mouvement dont nous faisons partie, passé-présent-futur reliés dans ce grand ensemble qui est le tout.
Celui qui a, n’a rien. Celui qui est, est tout.
C’est pour ça que j’ai choisi d’être arménienne, pour être celle qui est. Ainsi j’appartiens à ce grand tout qui aujourd’hui s’interroge : comment sortir de l’esprit de tutelle,
Le miracle, à l’infini.
Le poète suscite l’écriture qui ensuite le soutient et le guide dans son parcours aveugle. Ils cheminent ensemble au cœur de la forêt des mots, non pas en quête de fusion mais vers la création.
Attelée à l’écriture, c’est aussi vers elle que je vais de mon pas tantôt léger comme une plume, tantôt lourd d’incertitudes.
Ce matin dans la forêt, une pluie d’or a baigné mon visage. J’ai arpenté les chemins tapissés de feuilles, humé les effluves de champignons et de bois coupé qui saturaient l’air, traversé une féerie de couleurs déposée cette nuit par la main experte d’un automne au sommet de son art.
Les yeux levés vers le ciel, il me semblait marcher sous une voute de tableaux de Séraphine Louis. Elle me guidait dans sa galerie, lumineuse, inspirée, frémissante. Nul autre qu’elle n’aurait pu à ce point me faire ressentir le luxe de ce royaume.
Chers amis lecteurs,
Chers amis lecteurs,
Une année se termine bientôt, a-t’elle seulement commencé ?
Parfois j’en doute.
Mais le tic-tac de l’horloge continue sa course à petits pas obstinés
Et remplace déjà le vert tendre d’un printemps kidnappé, par des ors et des pourpres.
Stupéfaite, je suis à nouveau derrière ma fenêtre à vous imaginer derrière la vôtre.
Heureusement, nous nous sommes rencontrés et c’est déjà beaucoup.
C’est un lien qui existe au-delà des parois de verre et des masques C’est une réalité que je chéris et qui me donne le sourire, au cœur de mon ermitage.
“J’ai regardé les bougies brûler
En pensant à chacun de vous, mes vivants
Mes navires qui voyagent et portent désormais au creux des yeux
Ce petit bout de terre, cette petite flamme dont je vous ai conté l’histoire”
Extrait de “Que ma voix demeure”
Le premier jour du jeûne.
Je pratique le jeûne 1 ou 2 fois par an depuis presque 10 ans. J’ai parfois entrouvert cette porte dans mes livres sans jamais l’aborder autrement que sous un angle poétique (Terra incognita – Momig, – D’amour et d’eau fraîche – Le ventre et la plume).
A la demande d’une amie, j’ai écrit ce que le jeûne est pour moi dans la réalité. Je vous le partage aujourd’hui. C’est une simple mise en bouche, chacun trouve sa façon à lui de se ré-approprier ses sensations et la littérature ne manque pas d’ouvrages sur la question.
Dans notre monde où l’on nous fait croire que le bonheur c’est d’avoir, il faut revenir à l’être. La gourmandise, l’avidité ne sont pas de vrais désirs du corps, ce sont des problèmes de l’esprit. Notre corps ne veut jamais se remplir à ras bord : la preuve,
La mélodie est dans l’arbre, l’autre partie est en nous.
Lire, écrire. Cette joie de la première lettre reste ancrée en moi. Une aube teintée de rose, toujours renouvelée. Ce que d’aucuns pourraient percevoir comme un repli, n’est autre qu’une ouverture, une nouvelle façon de respirer, plus ample.
À ma table de travail, je cherche, dans les interstices laissés par notre confinement communautaire, dans les rares moments de silence ou dans ceux que je parviens à me construire, une inspiration, une vérité, une rencontre.
Il est souvent difficile de trouver son équilibre. Tout bouge autour de nous. En vieillissant tout est plus lent. Et aussi tout est plus grand. Tout ce que je craignais, jeune femme, de voir m’échapper, devient aujourd’hui possible. C’est juste une autre facette de la liberté d’être qui peu à peu apparaît.
Ce matin les oiseaux chantaient plus fort. Cachés dans leur théâtre de verdure, il me semblait les entendre ainsi pour la première fois.
Le printemps, tellement!
JOUR
Pour faire une prairie, prenez un trèfle et une seule abeille – un seul trèfle et une abeille, et la rêverie – La rêverie seule suffira, si on manque d’abeilles.
« Est-ce que ce que j’écris est vivant ? » demandait Emily Dickinson à son éditeur qui ne l’éditait pas. Et ça lui était bien égal. Rien plutôt que toucher un cheveu des anges qu’elle dessinait, mot après mot, sur ses cahiers d’enfant sage.
« J’ai tant besoin de vous depuis que je chancèle » lettre à Sue, sa grande amie, sa belle-sœur, sa voisine, son amour sublimé.
JOUR
La pression continue – verbe au présent actif – adjectif au passif puissant –
La colère monte en moi et je m’y soumets. Ma vie intérieure est encore trop fragile. Elle se trouve à cette étape du chemin où,
Le voleur d’hiver
Étrange hiver que cet hiver sans hiver
Peut-être aurons-nous un printemps sans printemps ?
Comme si la nature nous montrait, pauvres aveugles,
Qu’il fallait commencer à se passer de l’essentiel
Puisqu’on a déjà tout piétiné.
La jonquille gisait au sol, écrasée de bêtise
Sa tige encore solidaire par quelques fibres à sa racine
Portait un bouton fermé comme un poing d’enfant
Obstiné, accusateur, impuissant.
« C’est le voleur Maman, celui qui est venu pendant la nuit
C’est là qu’il a sauté, il n’a pas vu la fleur qui poussait
Protégée par le mur, elle se croyait en sécurité
Elle aussi ».
Le voleur a piétiné, le voleur a percé, le voleur est entré
Messager du mauvais il me rappelle la face de l’envers
« Que m’a-t-on encore volé, se demande la muse
À moi dont l’enfance,
Le soleil a rendez-vous avec la lune
Le soleil brille dans les yeux de la lune
Si menue, si fragile, gracile, suspendue
Elle se cache dans l’ombre
La mère veille sans repère
Le soleil brûle et la féconde
Elle sera pleine, elle sera ronde
D’une promesse de vie
Les voisins me l’ont dit
Une étoile est née, un petit bout de fée
Ses cheveux d’ange tissent les nuages
Un rire de cristal emplit tout l’espace
Mais seule la nuit le sait
La lune a tout donné, elle n’est sure de rien
Du fond de sa nuit, elle s’est dégonflée
Un deux trois, regarde-moi, regarde-moi
Je ferai mieux la prochaine fois
Deux yeux bleus fixent du ciel
Les quais déserts, les trains ratés
Tout est noir mais rien ne dort
Le soleil brille et la lune pleure
De pierre et de plume : la visite à Nohant.
Chère grande amie,
Je suis venue te voir.
Je le sais, nous avions rendez-vous, au delà des ans, au-delà des modes, au-delà des mots.
Je veux être sincère.
Enfant, sur les bancs de l’école républicaine, “François le Champi” à la main, je m’étais endormie. Tes récits m’ennuyaient, je te trouvais fade et te préférais Balzac, Hugo, Zola. Je ne savais pas encore qu’ils étaient tes amis.
Jeune femme je t’avais fugacement croisée lors d’un séjour à Majorque. Brève, trop brève rencontre, je n’étais pas prête. Toi non plus d’ailleurs, voyage détestable avais-tu écrit alors. C’était sans appel. Les dépliants touristiques ne t’en tiennent nullement rigueur, ton nom y frappe joyeusement monnaie aujourd’hui.
En 2013, liseuse infatigable, je découvrais Becherel, la Cité du Livre bretonne, faite pour moi avec sa pluie de galettes et de livres. Je tombais par hasard sur ce que je ne savais pas que je cherchais,