Encore un Bobin, encore une pépite, encore un livre que je n’aurai plus la chance de découvrir.
Cet homme a une façon d’agencer les mots qui nous rend beaux. Il fait de son œuvre un voyage poétique où tout se mélange et où rien n’est pareil. Quelques lignes au milieu d’une page blanche et le monde s’ouvre, ses contours sont plus nets, la joie peut enfin entrer.
Je suis en même temps envieuse et reconnaissante. Je dévore ses traits de lumière, j’en saisis un au vol et le laisse aussitôt pour accueillir le suivant, tour à tour abreuvée, assoiffée, abreuvée…Une sorte d’art de la fugue littéraire, un sommet de virtuosité et d’artisanat, Christian Bobin, Meilleur Ouvrier de France catégorie « minuscules ».
Je me promène partout avec lui. Je donne de ses nouvelles à l’escargot baveux qui court vers mes salades, à la fourmi obstinée qui monte le long du mur,
Le printemps, tellement!
JOUR
Pour faire une prairie, prenez un trèfle et une seule abeille – un seul trèfle et une abeille, et la rêverie – La rêverie seule suffira, si on manque d’abeilles.
« Est-ce que ce que j’écris est vivant ? » demandait Emily Dickinson à son éditeur qui ne l’éditait pas. Et ça lui était bien égal. Rien plutôt que toucher un cheveu des anges qu’elle dessinait, mot après mot, sur ses cahiers d’enfant sage.
« J’ai tant besoin de vous depuis que je chancèle » lettre à Sue, sa grande amie, sa belle-sœur, sa voisine, son amour sublimé.
JOUR
La pression continue – verbe au présent actif – adjectif au passif puissant –
La colère monte en moi et je m’y soumets. Ma vie intérieure est encore trop fragile. Elle se trouve à cette étape du chemin où,
Le voleur d’hiver
Étrange hiver que cet hiver sans hiver
Peut-être aurons-nous un printemps sans printemps ?
Comme si la nature nous montrait, pauvres aveugles,
Qu’il fallait commencer à se passer de l’essentiel
Puisqu’on a déjà tout piétiné.
La jonquille gisait au sol, écrasée de bêtise
Sa tige encore solidaire par quelques fibres à sa racine
Portait un bouton fermé comme un poing d’enfant
Obstiné, accusateur, impuissant.
« C’est le voleur Maman, celui qui est venu pendant la nuit
C’est là qu’il a sauté, il n’a pas vu la fleur qui poussait
Protégée par le mur, elle se croyait en sécurité
Elle aussi ».
Le voleur a piétiné, le voleur a percé, le voleur est entré
Messager du mauvais il me rappelle la face de l’envers
« Que m’a-t-on encore volé, se demande la muse
À moi dont l’enfance,
Le soleil a rendez-vous avec la lune
Le soleil brille dans les yeux de la lune
Si menue, si fragile, gracile, suspendue
Elle se cache dans l’ombre
La mère veille sans repère
Le soleil brûle et la féconde
Elle sera pleine, elle sera ronde
D’une promesse de vie
Les voisins me l’ont dit
Une étoile est née, un petit bout de fée
Ses cheveux d’ange tissent les nuages
Un rire de cristal emplit tout l’espace
Mais seule la nuit le sait
La lune a tout donné, elle n’est sure de rien
Du fond de sa nuit, elle s’est dégonflée
Un deux trois, regarde-moi, regarde-moi
Je ferai mieux la prochaine fois
Deux yeux bleus fixent du ciel
Les quais déserts, les trains ratés
Tout est noir mais rien ne dort
Le soleil brille et la lune pleure
J’écris à grand galop sur la plage du temps.
J’aime les verbes.
J’aime ce qu’ils dessinent : le temps qui passe et les milliers d’actions microscopiques que nous faisons pour rester vivants. Je conjugue à l’infini tous ceux qui me tombent sous la main: je t’aime, j’y étais, tu auras, ils partirent, elle arriva. Chacun d’eux est une promesse.
Le présent est pour moi le plus insaisissable. Et le temps d’écrire cette phrase, le présent est déjà passé. Le verbe se conjugue alors autrement, au passé composé parfois, à l’imparfait souvent, au plus que parfait jamais.
L’infinitif est le plus vaste : quoi de plus grand que galoper ? rêver ? vivre ? éternelle invitation, voyage à l’infini, questions sans réponse. Et tout ce qui est sans limite, comme les trois petits points de suspension qui se glissent si souvent dans les messages, me fait peur.
Pour moi écrire,
Light is back…Et une minute de soleil en plus, une!
Et une minute de soleil en plus, une!
Voilà notre récompense pour avoir traversé ces journées un peu grises et sans goût. On a beau allumer tout ce que nous pouvons et profiter du moindre rai de lumière venu d’en haut, les jours des fins d’année retiennent leur souffle, presque jusqu’à l’asphyxie. Et nous avec. Bonne nouvelle, bonne année, janvier est là, il est grand temps de se remettre à respirer.
Cette année, j’ai profité de décembre pour me faufiler entre les heures et atteindre la nuit au plus tôt. La saison s’y prête et sans pour autant hiberner, je me suis surprise à flemmarder plus que de coutume. Même si nous avons pris l’habitude, à coup de mégawatts, de bûches dans la cheminée et de guirlandes dans le sapin, d’aller gaillardement vers le printemps, il ne faut pas oublier de profiter de l’accalmie des nuits longues,